XIV
GRAND PRIX

Le Trojan fut pris de violentes secousses au départ de la bordée du pont supérieur, suivie immédiatement par les vingt-deux de la batterie basse. Le bâtiment donnait l’impression de partir en morceaux.

Même lorsque l’on s’y attendait, cet épouvantable vacarme dépassait l’entendement, les échos des coups grondaient encore alors que les pièces reculaient dans leurs bragues.

La fumée se dissipa lentement à tribord avant pour s’échapper sous le vent. L’ennemi était entouré de petites plumes blanches, l’Argonaute arrivait en route convergente, vergues brassées serré pour parer la pointe la plus proche. Mais, sans lunette, il était pratiquement impossible de voir si des boulets avaient fait mouche. Le Trojan avait tiré dès qu’il avait été en portée, Bolitho estimait la distance à plus de huit encablures.

Les chefs de pièce hurlaient comme des fous, des hommes rechargeaient tandis que d’autres, l’anspect à la main, attendaient de remettre les lourdes pièces en batterie.

Le bruit lui vrillant encore les tympans, Bolitho se frotta vigoureusement les oreilles pour tenter de retrouver un peu d’ouïe. La gîte s’accentuait un brin, Pears avait ordonné un léger changement de route pour accélérer le rapprochement. Huniers et misaine faseyante, le capitaine français essayait toujours de serrer au plus près pour garder de l’eau et parer la terre qu’il longeait encore par le travers.

Difficile d’imaginer ce qui se tramait dans sa tête. Et l’alter ego de Coutts, quel pouvait bien être son plan ? Peut-être cherchait-il à entraîner le Trojan au large afin de donner à la goélette le temps de s’enfuir. Ou encore, après avoir mis le Spite hors de combat, souhaitait-il tout bonnement s’échapper et éviter toute confrontation. Ou alors, autre hypothèse, ses ordres comportaient un second point de rendez-vous et de déchargement.

Bolitho n’arrivait même plus à comprendre comment il pouvait encore réfléchir. Il balaya le pont : du regard : les chefs de pièce tendaient le bras l’un après l’autre pour indiquer qu’ils étaient parés.

— Parés, monsieur ! cria-t-il en se tournant vers la dunette.

L’aspirant le plus ancien de la batterie basse passa la tête dans la descente :

— Parés, monsieur !

Couzens passa en courant, se dirigeant vers l’arrière. Il portait un message du gaillard d’avant destiné à Cairns. En croisant l’aspirant Huss, il lui cria :

— Tu n’as pas été très rapide, le dernier coup !

Et ils se firent un grand sourire, comme s’il s’agissait d’un jeu.

Couché par la gîte, l’ennemi était plus proche. Les batteries de ses pièces luisaient comme deux rangées de dents. Au fond de lui-même, il savait pertinemment que l’amiral français n’avait aucunement l’intention d’ordonner à son capitaine de faire demi-tour. Il était décidé à combattre, et au diable les conséquences ! Plus tard, chacun des adversaires chercherait à justifier son action, mais seul l’avis du vainqueur compterait.

La muraille du français disparut soudain dans un nuage épais percé de langues orange : la réponse au Trojan arrivait.

Bolitho serra les dents, s’attendant à subir de plein fouet le choc des boulets dans le bordé. Mais seuls quelques coups frappèrent les œuvres mortes tandis que l’air stridait au passage des boulets à chaîne. Des poulies et des morceaux de gréement tombaient dans les filets frappés à la hâte par le bosco ; un fusilier chuta du grand mât, heurta la coupée et disparut dans l’eau sans un cri. Le premier sang avait coulé. Pears observait l’ennemi, la main à hauteur de l’épaule, attendant de donner le signal.

— Parés, les garçons ! cria Bolitho d’une voix haletante.

Le capitaine baissa le bras, le tonnerre des pièces emplit l’air une nouvelle fois.

— Nettoyez les lumières ! Épongez ! Chargez !

Les marins, qui avaient si souvent pesté contre le capitaine et leurs officiers au cours d’innombrables exercices effectués dans toutes les conditions imaginables, obéissaient aux ordres sans même lever la tête pour regarder leurs camarades escalader les enfléchures afin d’effectuer quelques réparations urgentes dans les hauts.

En voyant la grande déchirure du hunier, Bolitho comprit que le français suivait sa tactique habituelle : désemparer l’ennemi afin de le rendre non manœuvrable, puis attendre qu’il tombât dans le lit du vent en exposant son tableau à des bordées dévastatrices. Aux postes de combat, un vaisseau offrait aux coups toute la longueur de son pont, qu’un bombardement bien ajusté transformait rapidement en véritable boucherie.

L’Argonaute montrait lui aussi quelques dommages : des trous dans la toile et une grosse brèche dans un passavant atteint par deux boulets groupés. Plus que cinq encablures, un demi-mille, et les deux bâtiments continuaient de gagner de Terre en s’éloignant toujours de la terre.

Nouveau nuage de fumée, nouvelle volée de boulets à chaîne, ce bruit terrible qui faisait courber la tête aux hommes affairés autour de leurs pièces. Et pourtant, aussi incroyable que cela pût paraître, aucun espar n’était encore touché.

Stockdale s’arrêta une seconde et lui cria :

— Nous avons du vent, monsieur !

Son visage ridé était noirci par la fumée, mais il paraissait toujours aussi inébranlable.

— La crête !

Bolitho entendit l’aspirant Huss qui répercutait l’ordre à la batterie basse.

— Feu !

Le pont trembla comme si le bâtiment était en train de s’échouer, puis l’équipage poussa une immense clameur en voyant le grand hunier de l’ennemi osciller avant de tomber et de se ficher dans l’eau comme une lance.

C’était un coup de chance et personne ne saurait jamais qui avait tiré ce boulet-là. La grosse voix de Pears dominait le fracas des affûts :

— Bien joué, du Trojan ! Tapez-lui encore dedans !

Nouvelles clameurs d’enthousiasme, saluées par une nouvelle volée de fer qui vint frapper cette fois la muraille et les sabords inférieurs : le français venait de changer de tactique. Un affût désemparé roula lentement avant de heurter l’autre bord dans un bruit de tambour. Des hommes criaient, mais leurs voix étaient étouffées, comme des âmes qui gémissent en enfer.

L’Argonaute semblait gagner lentement sur eux, Bolitho voyait son boute-hors se confondre avec le leur. Pears allait sans doute profiter de l’avantage du vent pour abattre un brin, renvoyer de la toile et passer ainsi devant.

— Du monde en haut ! cria Cairns dans son porte-voix. À établir les perroquets !

Bolitho acquiesça machinalement : il avait deviné juste. Le vaisseau tomba lentement, les perroquets prenaient le vent. Il observa l’autre, essayant de deviner sa manœuvre dans la fumée. On voyait une flèche bleue, les deux bâtiments visaient maintenant le même point imaginaire qui les mettrait inévitablement au contact.

— Feu !

Les canonniers s’écartèrent vivement pour parer le recul des pièces puis se précipitèrent pour éponger et recharger.

La coque fut prise d’un grand soubresaut, l’ennemi venait de tirer lui aussi, un éclat de bois partit, comme frappé par une hache invisible, un homme s’élança en hurlant, les mains crispées sur le visage. Un fusilier l’empoigna, le dirigea vers la descente où d’autres prirent le relais pour le conduire en bas.

Bolitho jeta un regard à Quinn, qui semblait tétanisé : le matelot avait reçu une éclisse dans l’œil et le morceau de bois était resté fiché dans l’orbite comme l’épée d’un espadon.

Tonnerre plus aigu des neuf-livres : les canonniers sur la dunette avaient réussi à remettre leurs pièces en batterie. Le bruit s’amplifiait, les deux bâtiments se rapprochaient inexorablement. Les filets étaient jonchés de morceaux de bois, de bouts de cordage, comptaient un nouveau cadavre. En bas, un homme hurlait comme un supplicié. Sur la dunette, Pears était toujours aussi placide. Coutts, apparemment insensible au fracas du combat, le pied négligemment posé sur un bollard, montrait on ne sait quoi à Ackermann.

— Feu !

Les pièces reculaient en désordre désormais. Les équipes étaient fatiguées, les hommes épuisés par le vacarme incessant. Bolitho fit la tournée de toutes ses pièces, minuscules univers éclairés par le carré du sabord. Il ne se sentait pas bien et devait faire une étrange figure, à moitié riant et grimaçant. Stockdale se retourna, il en reconnut un autre, Moffitt, qui lui fit un signe et lui cria :

— Dure besogne, monsieur !

De nouveaux coups vinrent frapper le flanc à la limite de la flottaison, une épaisse fumée noire jaillit soudain d’une claire-voie, des cris. Mais la fumée s’éclaircit rapidement, les hommes de Dayell avaient fait ce qu’il fallait.

— Cessez le tir !

Les hommes reculèrent, ce silence soudain était presque aussi insupportable que le bruit. L’ennemi avait encore gagné sur leur avant, il était donc inutile de poursuivre le tir.

— Envoyez du monde à bâbord, cria Cairns, nous l’engagerons lorsqu’il passera devant l’étrave !

Des officiers mariniers poussaient rudement les hommes du bord indiqué pour renforcer les équipes clairsemées. Pears avait minuté son affaire comme il faut : un léger changement de route, davantage de toile, et lorsqu’il passerait derrière, le Trojan pourrait tirer pièce par pièce. Même s’il ne parvenait pas à le démâter, il serait trop atteint pour supporter une seconde rencontre.

— Paré, James ! cria-t-il, c’est à vous l’honneur cette fois-ci !

Un chef de pièce prit le bras de Quinn :

— On va leur montrer ce qu’on sait faire, monsieur !

Cairns criait quelque chose, Stockdale fit à Bolitho :

— Par Dieu, le français a lofé, monsieur !

Bolitho sentit son cœur se glacer : l’Argonaute remontait dans le vent, ce qui lui restait de toile pratiquement masqué, et il leur faisait face. Le tout n’avait pris que quelques minutes, mais il ne put retenir un élan d’admiration. La manœuvre était superbe. Il allait bientôt se retrouver sous l’autre amure, alors que le Trojan essayait toujours de réduire sa vitesse.

— Du monde en haut ! À rentrer les perroquets !

Les mâts et les vergues craquaient sous l’effort de la barre, mais la manœuvre était trop lente, beaucoup trop lente. Les hommes se précipitèrent comme des fous à tribord, l’ennemi fit feu et sa bordée balaya le pont sur toute sa longueur. L’angle de tir était assez aigu, et la plupart des coups ne causèrent que peu ou pas de dommages. Mais d’autres, dirigés vers les sabords ou les bastingages faiblement protégés, causèrent de terribles ravages. Des pièces partaient au roulis, écrasant au passage les servants, des boulets touchèrent de plein fouet les embarcations, faisant jaillir des volées d’éclisses. Des hommes s’écroulaient de toute part, Bolitho vit en baissant les yeux que ses jambes étaient trempées d’un sang qui n’était pas le sien.

Mais une énorme clameur le fit se retourner : le perroquet de misaine s’effondrait, entraînant dans sa chute un fouillis de gréement et de toile, ainsi que deux gabiers qui poussaient des cris de forcenés.

Momentanément ingouvernable, le Trojan titubait comme un ivrogne et essayait de s’éloigner. L’équipage de l’Argonaute poussait des cris de joie tandis que le bâtiment continuait de tracer un grand cercle avant de revenir en route parallèle un peu sur l’avant du Trojan et d’ouvrir le feu avec ses pièces de retraite.

Aveuglés par la fumée, empêtrés dans les débris qui jonchaient le pont, les canonniers avaient du mal à riposter et les pièces de l’avant ne réussirent à tirer que la moitié de leurs coups. Bolitho hurlait sans trop savoir pourquoi, c’était l’enfer. Tout autour de lui, des hommes reculaient, d’autres tombaient, beaucoup étaient déjà morts. D’autres se ruaient vers l’arrière derrière le bosco et ses aides pour essayer, malgré la fumée, de dégager les débris qui risquaient de remettre le Trojan sous le feu de ces terribles canons.

À l’arrière, impassible, Pears voyait tout, donnait des ordres. Il ne broncha même pas lorsque des éclisses passèrent en sifflant tout autour de lui et vinrent décimer une équipe de pièce.

L’aspirant Huss apparut sur le pont, les yeux écarquillés de terreur. En apercevant Bolitho, il lui cria :

— Monsieur Dalyell est tombé, monsieur ! Je… je ne peux pas trouver…

Et il pivota lentement pour venir s’écrouler aux pieds de Bolitho.

— James, descendez dans la batterie et prenez le commandement en bas !

Mais Quinn, hagard, incapable du moindre geste, fixait l’aspirant : du sang s’échappait à gros bouillons d’une horrible blessure dans son dos, une main bougeait encore, dernier signe de vie.

Un matelot retourna doucement le corps :

— C’est fini pour lui, monsieur.

— Vous m’avez entendu ? – Bolitho prit Quinn par le bras, oubliant Huss et tout le reste : Je vous ai dit de descendre !

Quinn se détourna, les yeux fous.

— Je… je ne peux pas… faire ça.

Et il baissa la tête. Des larmes ruisselaient lentement sur ses joues, mouillaient les traces noires de fumée.

— J’y vais, fit une voix qu’il ne reconnut pas.

C'était Ackermann, toujours aussi impeccable dans son uniforme immaculé.

— Je crois que je m’en sortirai – il fixait Quinn comme s’il n’arrivait pas à y croire : C’est l’amiral qui m’envoie.

Bolitho se détourna, écœuré par la défaillance de Quinn. Malgré la fumée, ses yeux croisèrent ceux de l’amiral qui se contenta d’un haussement d’épaules et d’un petit signe de la main. Le pont eut un soubresaut, ils avaient enfin réussi à se débarrasser du perroquet abattu. Le Trojan tombait lentement sous le vent, l’ennemi revenait dans sa ligne de tir, mais le français était apparemment invulnérable et insensible aux coups.

— Feu !

Les canonniers reculèrent, revinrent à leurs pièces, hurlant et jurant comme des forcenés.

Quant à Quinn, il était toujours planté au même endroit, inconscient des boulets qui passaient au-dessus de sa tête, des blessés qui hurlaient, du danger. Les mâts de l’adversaire les dominaient déjà comme de grandes tours : cinquante yards, pas plus. Les deux bâtiments tiraient toujours à l’aveugle dans la fumée emprisonnée entre les deux coques et qui formait comme un coussin amortisseur dérisoire.

Un canonnier s’enfuit de sa pièce, terrorisé, essaya de gagner la descente, la sécurité de la coque. Le fusilier de faction leva son mousquet, puis le baissa, comme impuissant, comme si tout espoir était éteint.

Couzens tira Bolitho par la manche, le regard plein d’horreur.

— Oui ? – Bolitho n’avait plus aucune notion du temps : Que se passe-t-il ?

L’aspirant se détourna avec peine du cadavre de Huss.

— Le capitaine m’envoie vous dire que l’ennemi a certainement l’intention de monter à l’abordage – et, jetant un coup d’œil à Quinn : Il faut que vous alliez prendre le commandement à l’avant, je vais vous seconder.

Bolitho le prit par l’épaule. À travers le léger tissu bleu, son corps était brûlant de fièvre.

— Allez chercher des renforts en bas.

Comme le jeune garçon partait en courant, il l’arrêta :

— Non, marchez lentement, monsieur Couzens. Vous devez montrer aux hommes à quel point vous restez calme – il esquissa un pauvre sourire : Peu importe ce que vous ressentez.

Il se tourna pour surveiller les canons, étonné lui-même de réussir à s’exprimer de la sorte alors qu’il risquait la mort d’un moment à l’autre. Ou bien pis encore : se retrouver sur la table du chirurgien, à attendre le premier coup de bistouri.

L’ennemi se rapprochait toujours, vergues brassées et la cadence des tirs ne faiblissait pas, mais ils étaient maintenant à bout portant, si bien que les débris de bourre enflammée étaient presque aussi dangereux que les coups. De nouveaux claquements, les mousquets se mettaient de la partie, des balles venaient se ficher dans le bois ou les hamacs. Un pierrier ouvrit le feu et une grappe de tireurs français nichés dans la hune d’artimon tomba comme une poignée de fruits mûrs, fauchée par la mitraille.

À présent, on distinguait le visage des hommes de l’Argonaute. Bolitho vit un officier marinier qui le désignait à un tireur d’élite, mais un fusilier de terre l’abattit avant même qu’il eût eu le temps de lever son mousquet. Des hommes surgissaient des ponts inférieurs, coutelas à la main. Au pied du grand mât, Balleine fournissait en piques tous ceux qui passaient à sa portée.

— Nous allons nous aborder par l’avant – Bolitho avait parlé tout haut sans y penser : Et dans pas longtemps.

Il leva son sabre au-dessus de sa tête et ordonna :

— Dégagez la batterie bâbord, suivez-moi !

Un boulet entra par un sabord, écrasant un marin qui courait aux ordres. Le corps décapité resta debout un moment, vacillant comme s’il ne savait trop quoi faire, avant de s’écrouler définitivement. Les hommes juraient et criaient de partout en se bousculant pour gagner le château avant. Plus rien ne comptait que cette énorme pyramide de toile au-dessus d’eux, le crépitement incessant des mousquets.

L’énorme beaupré et le bâton de foc étaient maintenant sur eux, pointés dans la fumée comme si rien ne pouvait les arrêter. Des Français y étaient juchés et tiraillaient sur le pont du Trojan au-dessous d’eux, brandissant leurs armes au-dessus de la figure de proue qui contemplait le spectacle d’un air menaçant.

Les deux grandes coques entrèrent en collision dans un fracas épouvantable. Taillant, coupant de taille et d’estoc, ceux du Trojan luttaient pour contenir les assaillants tandis que les fusiliers de D’Esterre maintenaient un feu nourri de mousqueterie sur le château avant et la dunette ennemis.

Bolitho sauta par-dessus un marin couché sur le pont et cria :

— Les voilà, ils arrivent !

Un matelot français essaya d’arriver sur le passavant, mais une pique le faucha et il plongea entre les deux coques.

Bolitho se retrouva face à face avec un jeune lieutenant, leva son sabre. Les deux lames traçaient des moulinets, malgré la presse qui ne leur laissait guère de champ.

Les yeux remplis de terreur, l’officier français plongea pour parer une fente de côté de Bolitho, qui le toucha au bras. Le sang jaillit par la manche déchirée ; Bolitho hésita une seconde avant de le frapper au cou. Le Français était mort avant même d’avoir touché l’eau.

Des hommes accouraient à son aide, Bolitho se retourna : Quinn était toujours au même endroit, immobile près de ses pièces, visiblement incapable de bouger. La fumée faisait des volutes au milieu des combattants, le vent avait forci et accostait brutalement les deux bâtiments.

Une nouvelle silhouette se dressait devant lui et l’obligea à ferrailler de plus belle. Bolitho gardait les yeux rivés sur son adversaire, insensible à toute émotion, calculant chacun de ses coups, mesurant sa force, attendant la touche mortelle qui lui percerait le ventre s’il perdait l’équilibre.

Ses marins se battaient autour de lui : Raye, un fusilier, Joby Scales, le charpentier qui maniait un gros marteau, Varlo, celui qui s’était engagé après une peine d’amour, le fils du meunier, Dunwoody, et bien entendu Stockdale, dont l’énorme coutelas faisait des ravages.

Il sentit soudain un coup sur sa tête, le sang lui dégoulinait dans le cou. Mais la douleur eut pour seul effet de lui faire reprendre sa garde. Il observait les passes de l’ennemi comme si cela ne le concernait pas.

Un mourant tomba en hurlant sur son adversaire, qui jeta un coup d’œil sur sa droite, le temps d’un éclair. Bolitho saisit l’instant, sauta par-dessus le cadavre et plongea. Lorsqu’il courut rallier ses hommes à l’avant, la lame rougie de sang, il ne parvenait même pas à se souvenir de l’avoir plongée une seconde plus tôt dans une chair vivante.

Un homme qui avait glissé dans une flaque de sang vint le heurter violemment dans le dos, l’entraînant à son tour et manquant lui faire lâcher son sabre, n’eût été la dragonne. Il essaya désespérément de se remettre debout et constata avec étonnement qu’il était suspendu au-dessus de l’eau : les deux bâtiments se séparaient. Les Français venaient également de comprendre ce qui se passait. Quelques-uns tentaient de s’agripper au boute-hors au-dessus d’eux, d’autres sautaient à la mer et tombaient au milieu de cadavres et des débris de toute sorte. Deux ou trois levaient les mains pour se rendre, mais un fusilier s’affala, touché par un tireur d’élite, et ils furent impitoyablement poussés à la mer.

Bolitho se sentait vidé, épuisé au-delà de toute mesure. Il dut s’accrocher au pavois pour ne pas tomber. Des canons tiraient encore sporadiquement dans la fumée, mais c’était la fin. Les voiles de l’Argonaute s’éloignaient lentement, son tableau pivotait comme le battant d’une porte.

En voyant le ciel bleu au-dessus de lui, Bolitho comprit soudain qu’il était allongé sur le dos. Il ne parvenait plus à penser à rien, une ombre se pencha sur lui : Stockdale, agenouillé, fou d’inquiétude. Il essaya bien de lui dire que ce n’était pas gave, qu’il se sentait bien, qu’il devait seulement se reposer un peu.

— Emmenez Mr. Bolitho en bas ! cria une voix. Il tenta de protester, mais c’était au-dessus de ses forces et il sombra.

 

Bolitho ouvrit les yeux. En clignant des paupières, il réussit à y voir un peu plus clair. Sa tête le faisait souffrir, il comprit enfin qu’il se trouvait dans l’entrepont, endroit où règne dans le meilleur des cas une semi-pénombre. Mais pour le moment, dans la lueur des lanternes qui oscillaient au roulis, avec ces allées et venues de blessés que l’on amenait sans cesse, l’entrepont était l’image même de l’enfer.

Bolitho avait été déposé contre les grosses membrures du Trojan et il sentait la coque jouer à travers sa chemise. Ses yeux s’accoutumaient à l’obscurité, il distinguait nettement l’infirmerie et la soute où s’entassaient des hommes, certains déjà immobilisés par la mort, d’autres recroquevillés comme des animaux blessés, concentrés sur leur seule douleur. Plus loin, au beau milieu du pont, sous des fanaux, Thorndike et ses aides s’activaient auprès d’un marin inconscient. Un jeune mousse qui lui servait d’aide passa, portant dans un seau un bras amputé.

Bolitho se redressa et tâta son crâne : du sang partout et un énorme hématome. Quel soulagement ! Il se mit à pleurer. Il était terrifié à l’idée de ce qui risquait de lui arriver, mais on déposait un nouveau blessé sur la table. À moitié nu, l’homme gémissait, implorait.

— S’il vous plaît, monsieur !

Il sanglotait sans pouvoir se contrôler, si bien que les autres malheureux oublièrent un instant leur propre douleur, les yeux rivés sur lui.

Thorndike s’essuya la bouche, se retourna. Il n’était pas reconnaissable, ses mains couvertes de sang luisaient comme une épée.

— Je suis désolé.

Le chirurgien fit un signe à son aide et Bolitho aperçut pour la première fois la jambe déchiquetée du malheureux. C’était l’un de ses canonniers : il avait été écrasé sous une pièce.

— Non, pas ma jambe, monsieur, pas ma jambe !

On lui glissa un goulot entre les lèvres. Le blessé laissa retomber sa tête, avala une goulée de rhum. L’aide en profita pour lui passer une lanière de cuir entre les dents.

Une lame étincela dans l’ombre, Bolitho détourna les yeux. Non, on n’avait pas le droit de faire souffrir un homme comme cela. Sale, baignant dans ses déjections, le blessé hurlait sous l’œil morne de ses camarades.

— Trop tard ! fit soudain Thorndike. Remontez-le sur le pont – et, après avoir bu une gorgée au goulot : Suivant !

À genoux près de Bolitho, un matelot avait encore quelques éclis de bois fichés dans le dos. C’était Buller, l’homme de vigie. En voyant le lieutenant, il fit :

— J’dois bien r’connaître que j’ai eu une sacrée chance, m’sieur.

Et il se tut, après ces seuls mots qui valaient bien des longs discours.

— Comment vous sentez-vous, monsieur ?

C’était l’aspirant Couzens.

— Le second m’envoie vous chercher. Mon Dieu ! s’exclama-t-il alors, en voyant l’état du lieutenant.

— Aidez-moi donc à me mettre debout, il faut absolument que je sorte d’ici !

Il se releva péniblement en s’agrippant à l’épaule du jeune garçon.

— En tout cas, je peux vous dire que je n’oublierai pas de sitôt ce que j’ai vu !

Stockdale arrivait, sa grande carcasse courbée sous les barrots, l’air affreusement inquiet.

— Laissez-moi, je vais le porter !

La traversée de l’entrepont était à elle seule un véritable cauchemar. L’endroit était encore noyé dans la fumée, quant à la peinture rouge du bordé, elle dissimulait mal les ravages du combat. Bolitho aperçut le lieutenant Dayell qui avec les deux aspirants rescapés discutait des mesures urgentes à prendre.

En apercevant Bolitho, Dalyell se précipita vers lui, fou de bonheur.

— Dieu soit loué, Dick, on m’avait dit que vous étiez mort !

Bolitho tenta de sourire, mais une violente douleur au crâne l’arrêta net.

— Et on m’a dit la même chose de vous !

— Oui, c’est vrai : une pièce a explosé et j’ai été sérieusement sonné. Sans les hommes qui se trouvaient près de moi, j’y serais resté – il hocha tristement la tête : Pauvre Huss, c’était un brave garçon…

Bolitho ne savait quoi répondre. Ils étaient partis avec neuf aspirants. L’un avait été promu, un autre fait prisonnier, et, pour finir, un de tué. Leur poste allait devenir un endroit bien lugubre.

— En attendant, reprit Dalyell en détournant les yeux, voilà ce que donne la stratégie de notre amiral. C’est bien cher payé pour un résultat douteux.

Bolitho reprit son chemin vers le pont, aidé par ses deux infirmiers. Parvenu à l’air libre, il s’arrêta un instant pour respirer à pleins poumons, contemplant rêveusement le mât de perroquet sérieusement avarié.

On continuait à descendre des blessés dans les fonds : Bolitho se demandait comment Thorndike viendrait à bout de tant de besogne. À la pensée de ses couteaux et de ses scies, il fut pris d’un violent tremblement. D’autres formes étaient déposées près de la coupée, monceau informe et anonyme des cadavres qui attendaient que le bosco les cousît dans leur hamac avant le dernier voyage. Bunce lui avait indiqué la sonde… Combien, déjà ? Mille cinq cents brasses à peu près. Et au bout de cette traversée dans l’obscurité, il y avait peut-être la paix définitive.

La douleur le reprenait, il lui fallait se secouer. Il se sentait de nouveau vacillant, il fallait cesser de remuer toutes ces pensées.

— Heureux de vous revoir, Dick, lui fit Cairns, qui avait l’air épuisé. J’aurais bien besoin d’un peu d’aide – il hésita : … Si vous vous en sentez la force.

Bolitho fit signe que oui, ému par cet homme qui trouvait encore le moyen de se préoccuper de son état au milieu de tous ses soucis.

— Ça ira.

Le pont offrait encore un spectacle de dévastation totale, planches déchiquetées, pièces désemparées, monceaux de cordages et de toile en lambeaux. Çà et là, des hommes s’activaient vaguement, comme les rescapés d’un naufrage. On avait du mal à croire que des êtres humains eussent réussi à survivre au milieu de ce carnage.

— Comment va James ? demanda-t-il au second.

Cairns se raidit.

— Le quatrième lieutenant est sain et sauf, à ma connaissance – il prit Bolitho par la manche : Je dois y aller, restez ici pour donner un coup de main au bosco.

Bolitho gagna la première division de pièces de dix-huit, là même où il avait vécu le plus gros de la bataille. Il apercevait l’Argonaute qui s’éloignait d’eux à trois milles environ sous le vent. À supposer même qu’ils parvinssent à opérer au plus vite quelques réparations de fortune, ils n’avaient à présent plus aucune chance de rattraper le français.

— Peu importe, fit Stockdale comme s’il lisait dans ses pensées, au moins, on les a forcés à prendre le large. Et avec le peu de monde qu’on avait, monsieur, on a fait l’impossible.

— Mais le brick a réussi à s’enfuir, remarqua sèchement Couzens.

Le maître pilote apparut à la lisse du tillac et appela Bolitho :

— Venez donc par ici, monsieur, j’ai du pain sur la planche avec ce bateau à manœuvrer ! Il me faut de la toile, sans quoi je n’y arriverai jamais !

Il fronçait ses gros sourcils noirs.

— Vous vous êtes fort bien conduit, je vous ai vu.

Et il termina d’un fort coup de menton, comme s’il en avait trop dit.

Pendant tout le reste du jour, l’équipage s’activa pour remettre le Trojan en état. On immergea les morts, les blessés furent installés de manière plus ou moins confortable. Samuel Pinhorn, leur maître voilier, avait fait monter de la toile d’avance sur le pont, en prévision de tous ceux qui grossiraient le nombre des morts avant qu’on eût touché le port.

Le plus surprenant était que les hommes réussissent encore à travailler après ce qu’ils venaient de subir. Mais, après tout, c’était peut-être d’être ainsi occupés qui les empêchait de penser à autre chose. Un bâtiment a constamment besoin qu’on l’entoure de ses soins.

Un espar de fortune avait été installé pour remplacer le mât de perroquet. Des bouts de cordage traînaient encore dans l’eau comme des algues. Ce n’étaient partout que bruits de marteaux et de scies, partout aiguilles et épissoirs étaient à l’œuvre.

Les hommes ainsi affairés levèrent tout de même la tête lorsque la goélette apparut soudain. Elle avait quitté son mouillage de l’île San Bernardo. Il avait fallu abandonner le Spite après l’avoir mis hors d’état de naviguer, afin que nul pirate ou corsaire ne pût le récupérer.

Bolitho était pourtant certain d’une chose : cette prise, sans parler des secrets qu’elle pouvait renfermer, n’effacerait jamais du cœur de Cunningham le déchirement qu’il avait dû ressentir en ordonnant à ses hommes d’abandonner le Spite.

Au coucher du soleil, Cairns ordonna une pause. On distribua à tout l’équipage le double d’alcool puis, après qu’on eut réduit la voilure pour la nuit, le Trojan fit route paisiblement en pansant ses plaies.

Bolitho accueillit sans émotion l’annonce qu’on lui fit : il était convoqué dans la grand chambre. Comme tout l’équipage, il était éreinté et sans ressort.

En se dirigeant vers l’arrière, il entendit la grosse voix de Pears, clairement audible malgré les deux portes.

— Je connais votre père, sans quoi je vous aurais dégradé sur-le-champ, vous m’entendez ?

Bolitho s’arrêta sur le seuil, ne sachant trop que faire. Le factionnaire l’observait d’un air curieux.

Il s’agissait de Quinn, bien entendu. Pauvre Quinn ! Il était brisé, à présent. Il le revoyait encore sur le pont, planté au beau milieu des cadavres et des mourants, incapable du moindre geste.

— Monsieur ? demanda le factionnaire.

Bolitho lui fit un vague signe de tête. Le fusilier fit claquer la crosse de son mousquet sur le pont et annonça :

— Le deuxième lieutenant, monsieur !

La porte s’ouvrit et le secrétaire, Teakle, fit entrer Bolitho. Il avait un poignet bandé et paraissait encore choqué. Bolitho se demandait soudain comment il ne lui était jamais venu à l’esprit que les secrétaires pussent courir les mêmes dangers que tous les autres.

Quinn sortit de la chambre, pâle comme un linge. Il aperçut Bolitho et s’apprêta à lui dire deux mots avant de se reprendre puis de disparaître.

Pears s’avançait à la rencontre de Bolitho.

— Alors, je vois que vous n’êtes pas trop atteint, n’est-ce pas ?

Il était visiblement très énervé.

— Oui, monsieur, j’ai eu de la chance.

— Ça, vous pouvez le dire.

Le capitaine détourna les yeux en voyant arriver l’amiral.

— J’ai l’intention de me rendre à bord de la prise dès l’aube, Bolitho. Je ferai route sur Antigua et prendrai ensuite le premier courrier ou la première frégate disponible.

Bolitho le fixait sans rien dire, essayant de deviner où il voulait en venir. Il sentait de façon très aiguë la tension qui régnait entre les deux hommes. Pears avait le regard amer, il souffrait littéralement.

— Le Trojan nous suivra, naturellement, continua Coutts. Il pourra effectuer là-bas toutes les réparations nécessaires avant de rejoindre l’escadre. Je m’assurerai personnellement qu’on lui accordera tous les concours nécessaires à Antigua et qu’on lui fournira les hommes…

— Les hommes qui remplaceront tous les pauvres diables qui ont péri aujourd’hui, coupa Pears d’un ton sec.

Coutts rougit, mais se tourna vers Bolitho comme si de rien n’était.

— Je vous ai observé. Vous promettez beaucoup, vous avez toutes les qualités nécessaires pour diriger des hommes.

Bolitho jeta un coup d’œil à Pears, dont les traits étaient altérés, comme chez quelqu’un qui attend un jugement.

— Je vous remercie, amiral.

— Par conséquent… – il hésitait : … Je vous offre une nouvelle affectation dès que nous aurons gagné Antigua. À mes côtés.

Bolitho n’en croyait pas ses oreilles. Il imaginait fort bien l’effet que pouvait faire à Pears cette soudaine proposition. Une fois Coutts arrivé à Antigua puis sans doute à New York, Pears n’aurait plus que Cairns pour prendre sa défense. Il servirait alors de bouc émissaire, pour couvrir les décisions hasardeuses de l’amiral.

À sa propre surprise, il répondit sans hésitation aucune. Pourtant, l’amiral lui offrait sur un plateau tout ce qu’il pouvait désirer au monde : embarquer sur un bâtiment léger, rapide, comme le Vanquisher ou l’une quelconque des frégates. Et, avec le patronage de Coutts en prime, il ne pouvait rêver meilleure occasion.

— Je vous remercie, amiral, répondit-il enfin en regardant Pears. Mais je suis placé sous les ordres du capitaine de vaisseau Pears, et je souhaite rester près de lui.

Coutts le regardait d’un air bizarre.

— Vous êtes décidément quelqu’un de bien étrange, Bolitho. Un jour ou l’autre, votre sentimentalité vous perdra. Je vous souhaite le bonsoir, conclut-il sèchement.

Bolitho remonta ! échelle comme dans un rêve et se retrouva au carré, qui n’avait miraculeusement subi aucun dommage.

Cairns arriva un peu après et lui prit le bras.

— Mackenzie, jeta-t-il au maître d’hôtel, espèce d’âne, donnez donc du brandy à ce brave officier !

— Mais que se passe-t-il ici ? demanda D’Esterre.

Cairns vint s’asseoir en face de Bolitho en le fixant avec une rare intensité.

— Il se passe, messieurs, que je viens d’assister au spectacle suivant : celui d’un homme qui n’a aucun jugement, mais qui est honnête et qui a agi de fort belle manière.

— Je… je ne savais pas, bredouilla Bolitho en rougissant.

Cairns attrapa la bouteille qu’apportait Mackenzie et eut un triste sourire.

— J’étais à la porte, je regardais par le trou de la serrure comme un garnement – il se fit soudain plus grave : Vous vous êtes conduit magnifiquement. Naturellement, il ne vous remerciera jamais pour ce que vous venez de faire.

Cairns leva son verre :

— Mais je le connais bien, mieux que la plupart d’entre nous. Vous l’avez gratifié de quelque chose qui lui fait chaud au cœur, après ce que Coutts vient d’infliger à son bâtiment !

Bolitho songeait rêveusement à la goélette qui faisait route quelque part sous leur vent. Demain matin, elle allait s’éloigner, emportant avec elle une belle chance de promotion.

Mais après tout, et ce fut la dernière surprise de la journée, il s’en moquait.

 

En vaillant équipage
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